Nathalie
Nathalie Warzée
Licenciée en Sciences biologiques

Université Libre de Bruxelles


Résumé du mémoire de fin d'études
 

Relations de Thanasimus formicarius (L.) (Coleoptera : Cleridae)
avec ses  principales proies en pinède et en pessière 

Les coléoptères scolytides comptent parmi les plus importants ravageurs des résineux. Ils s’attaquent à des arbres apparemment sains qu'ils tuent par l’inoculation de champignons pathogènes, ouvrant la voie à d’autres organismes qui déprécient le bois. Parmi ces ravageurs, Ips typographus L. est le scolyte de l’épicéa le plus dommageable en Europe. En 1992 par exemple, deux ans après les tempêtes de 1990, il a tué à lui seul 250.000 m³ d’épicéa en Belgique, occasionnant des pertes estimées à 250.000.000 BEF (1), tandis que les dégâts s’élevaient à 10.000.000 m³ en RFA (2), 1.400.000 m³ en Autriche (2), 500.000 m³ en Suisse (3) et 212.500 m³ dans le nord-est de la France (4). 

De nombreuses études ont démontré le rôle des parasitoïdes et prédateurs dans la régulation des populations de scolytides. Parmi les ennemis naturels d’Ips typographus, le coléoptère cléride Thanasimus formicarius, un prédateur généraliste, a déjà fait l’objet de nombreuses recherches à l’étranger. Par ailleurs, il est clairement établi dans la littérature que T. formicarius pourrait être un agent de contrôle important dans la régulation des populations de scolytes. En Suisse, en Allemagne et en Suède, il est considéré comme le prédateur majeur d’Ips typographus. Dans ces deux derniers pays, le ratio T. formicarius:Ips typographus capturés dans les pièges à phéromones est de 1:500 (L.M. Schroeder, non publié ; C. Heidger, non publié).

Curieusement, en Belgique, la situation semble nettement différente. Lors d’inventaires faunistiques exhaustifs réalisés en 1991-95 sur des épicéas attaqués par Ips typographus à Bertrix et à Wellin, Willette (5) et Grégoire et al. (1) ne relèvent aucun T. formicarius. Cette absence ou cette grande rareté apparaît aussi dans les captures de pièges à phéromones (6) (1 T. formicarius pour 12.500 Ips typographus) ou d’arbres-pièges (7) (sur un demi-million d’Ips typographus dénombrés entre 1988 et 1991, aucun T. formicarius n’a été relevé).

Mon mémoire de fin d’études a tenté de cerner la problématique de l’absence de Thanasimus formicarius (L.) dans les pessières belges. Dans ce but, nous avons étudié les relations que T. formicarius entretient avec l’essence d’arbres présente dans le peuplement ainsi qu’avec ses principales  proies: Ips typographus L., inféodé à l’épicéa, et Ips sexdentatus Boerner, inféodé au pin.

Thanasimus (dessin réalisé par Peter Schuele)
( © N. Warzée )

Le transect de pièges que nous avons établi à Wellin (prov. Luxembourg) montre un rapport T. formicarius:I. typographus similaire à celui obtenu en Suède et en Allemagne (avec du Pheroprax), mais avec des attractifs augmentant normalement la capture du cléride (Pheroprax + Ipsdiénol). La présence d’îlots de pins au sein d’une pessière ne semble pas, sur un an d’expérience, exercer d’influence particulière sur les captures d’adultes de Thanasimus. Par contre, les captures du cléride en pinède restent supérieures à celles réalisées en pessière.

Des manipulations en laboratoire ont confirmé que la principale proie présente en pessière, Ips typographus, convient particulièrement bien à T. formicarius (tests de choix alimentaire entre les deux espèces d’Ips) et que des larves de ce prédateur, naissant sur un épicéa, sont capables de pénétrer dans l’univers sous-cortical des galeries d’I. typographus et d’exploiter ce système jusqu’à leur dernier stade larvaire (observations réalisées dans des dispositifs en « sandwiches »). 

Des manipulations de terrain ont corroboré l’hypothèse émise suite à des expériences antérieures en laboratoire comparant le succès de nymphose de T. formicarius dans des rondins de pin, d’épicéa, et d’épicéa recouverts de papier mâché. Ces expériences avaient montré une corrélation positive entre l’épaisseur d' « écorce » (écorce ou écorce + papier mâché) des rondins utilisés et le taux de nymphose (J.-C. Grégoire, en préparation). Les observations réalisées dans le cadre de mon mémoire ont, quant à elles, montré qu’une épaisseur de substrat minimale de 6 mm est requise pour le creusement de la logette nymphale, grâce à des comparaisons d’épaisseur d’écorce d’épicéa et de pin. Une telle limitation par l’épaisseur d’écorce obligerait donc les larves de T. formicarius à migrer vers des sites plus favorables sur le tronc, par exemple vers la base de l’arbre où l’écorce est plus épaisse, avec les risques de mortalité que ces déplacements comportent. Ceci pourrait contribuer à expliquer l’absence de T. formicarius dans les relevés antérieurs.

Suite aux observations réalisées lors de récoltes sur le terrain, des expériences comportementales et des analyses chimiques préliminaires ont porté sur la présence potentielle d’une phéromone entre adultes de T. formicarius. Nous observons une attraction des mâles par les femelles, mais les analyses chimiques (par chromatographie gazeuse couplée à un spectromètre de masse) ne peuvent pas encore fournir de conclusions nettes, vu le petit nombre de tests effectués et la grande variabilité entre les extraits. 

Au terme de ce travail, les résultats suggèrent que la rareté de T. formicarius en pessière serait fortement liée à l’essence de l’arbre hôte, l’épicéa, dont l'épaisseur d’écorce serait insuffisante pour la nymphose de l'insecte. Par conséquent, la survie à la nymphose de T. formicarius est inférieure en pessière qu’en pinède ; ce qui laisse supposer une réalimentation (en adultes de Thanasimus) des pessières à partir des pinèdes.

__________________
Références
(1) Grégoire J.-C., Raty L., Drumont A., De Windt N. & De Proft M. 1995. Pp. 202-207 in Hain F.P., Salom S.M., Ravlin W.F., Payne T.L. & Raffa K.F. (eds), Behavior, population dynamics and control of forest insects, Proc. IUFRO Joint Conference, Maui, Hawaii (1994), 644 pp.
(2) Algemeine Forst Zeitschrift, 7 1994.
(3) Bulletin SPOI Protection des Forêts-Vue d’ensemble 1992 (Avril 1993).
(4) Nageleisen L.M. 1993. Bilan Département Santé des Forêts Nord-Est.
(5) Willette O. 1993. Travail de fin d’études, Institut Provincial d’Enseignement Supérieur Agricole et Technique, Ath, 72 pp.
(6) Merlin J. & Grégoire J.-C. 1990. Actes du colloque « Gérer la nature ? », 15(2):813-826.
(7) Drumont A., Gonzalez R., De Windt N., Grégoire J.-C., De Proft M. & Seutin E. 1992. J. Appl. Entomol. 114(4): 333-337.